ATELIER RECONFINÉ - 20/11/2020 - Exercice 1 - Le fil de la mémoire


 

Enregistrement réalisé par la médiathèque d'Eybens, avec l'aimable autorisation des éditions Thierry Magnier

 

Une nappe, brodée avec amour et patience par une grand-mère pour le mariage de sa petite-fille. Transmise de génération en génération, elle va traverser le XXᵉ siècle et ses vicissitudes. 

Cette histoire, véridique, est racontée dans le court roman La nappe blanche, écrit par Françoise Legendre.
Françoise Legendre sera notre invitée samedi 23 janvier 2021, lors des prochaines
> Nuits de la lecture, pour nous parler de son livre et de son travail d’écriture. 

Tout naturellement, nous avons eu envie de vous proposer d’écrire autour d’un objet que l’on vous a transmis, et de raconter son histoire. Ceci pouvant, bien sûr, être totalement imaginaire. 

 

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L'exercice

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> Ecoutez l'enregistrement de "La nappe blanche" de Françoise Legendre (ci-dessus)

> Imprégnez-vous du texte et appropriez-vous la thématique de la mémoire, de la transmission entre les générations

> Réfléchissez à un objet qui fait sens dans votre histoire personnelle et/ou familiale

> Faites remonter des situations, des anecdotes associées à cet objet

> Proposez un récit en prose, inventé ou autobiographique, d'une page A4 maximum. Vous pouvez l'accompagner de la photo de l'objet en question.

 

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Vos contributions

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LA BOÎTE À MUSIQUE

Tout a commencé dans mon enfance, j'écoutais mon père jouer de l'harmonica. Mes sœurs et moi l'accompagnions en chantant.
Pour ma part, j'avais un problème avec les aigus, mais la mélodie m'attirait.
Je rêvais de jouer d'un instrument moi aussi.
Ce fut une joie dès que la maitresse d'école nous proposa de jouer de la flute.
Je m'amusais à jouer des airs de chansons de mémoire, sans les partitions. J'avais l'impression d'avoir un don !
Plus tard, j'ai essayé de jouer de l'harmonica, mais cela ne m'a pas convaincue.
C'est à l'âge de 14 ans que j'ai décidé de jouer de l'accordéon.
Après l'approbation de mes parents, je suis allée apprendre de cet instrument à 15 kilomètres de la maison à l'aide d'une mobylette.
J'adorais jouer et sentir la mélodie sortir de mon ventre !!
Pour moi, la musique a toujours eu un place importante dans ma vie. Elle m'apporte bonheur et épanouissement.
Maintenant, après avoir vendu mon accordéon et essayé de jouer du piano, je compense en écoutant des airs de musique avec les médias, ou aux concerts.


Jocelyne Bouyer - 21/11/2020
 

Un objet qui aurait traversé les époques ?

Je n’en vois tout d’abord pas dans nos familles de déracinés. Que me reste-t-il de mes grands-parents ? Ce qui a traversé les époques se révèle être des photographies conservées durant toutes ces années, presqu’oubliées, deux, et uniquement deux remontant à leur pays d’origine.

Du côté de mon père, le grand-père, Nicolas, fuit sa contrée sous occupation, devant l’avancée barbaresque qui réduisait à feu et à sang les villages, massacrant bêtes et gens, chassant de leurs terres ancestrales deux peuples qui y cohabitaient ; il rejoignit son pays, et gagna cette île méditerranéenne, l’autre île de beauté, sur laquelle s’étaient réfugiés certains compatriotes. C’est ici qu’il rencontra ma grand-mère. Mais la vie était rude, comme d’autres, il décida de partir chercher du travail en France qui, en plein conflit mondial, avait besoin de mains d’œuvre. De Marseille, il gagna Grenoble où il trouva un emploi. Sa femme vint le rejoindre avec leur fils. Après des années de dur labeur à vivre dans des appartements miteux, ils purent s’établir un beau jour, à Eybens, dans une maison où s’agrandit la famille et vint au monde mon père. Trop vite arriva la seconde guerre qui apporta son lot de malheurs. La première des deux fillettes se noya. Le grand-père, usé, succomba à la maladie, l’aîné des fils s’enrôla dans le maquis, un garçon fut tué à la guerre, un autre prisonnier, un quatrième, plus jeune, arrêté par les Allemands à la suite d’une manifestation, fut interné dans un camp de concentration d’où il revint, profondément marqué. Ma grand-mère, à laquelle quotidiennement mon père rendait visite pour un peu d’aide, nous quitta à son tour, quand j’étais ado. Me reviennent certains moments, mémé, toujours en noir, m’attendant souvent, l’école finie, pour acheter le pain, les visiteurs du dimanche, des gens du pays, la musique sur l’électrophone, la cuisine, la poule au pot, les feuilles de vigne. Elle avait besoin de nourrir les autres, distribuait les poires de son arbre aux passants.

Du côté maternel, je suis bien plus ignorante sur leur parcours de vie, on parlait peu aux enfants ou petits- enfants de l’histoire familiale. Je sais juste que ma grand-mère Louise arriva jeune en France, d’une autre grande île, italienne cette fois, que ses sœurs et son frère naquirent ici, qu’elle rencontra à Grenoble, un bel homme, du même pays qu’elle. Il avait de l’instruction, travaillait en pharmacie et un jour mourut noyé. Certains parleront de suicide. Il avait déjà une fille, Marianne, que l’on verra très rarement, et eut quatre enfants avec Louise. Veuve, sans formation, avec quatre enfants, il était difficile de s’en sortir. Elle rencontra un homme plus âgé, se remaria et vint habiter la commune, elle aussi. Elle eut deux enfants avec ce mari desquels je me sentais proche parce qu’ils étaient plus jeunes que mes autres oncles et tantes. J’avais toujours beaucoup de plaisir à venir voir mémé ; elle habitait une maison, ce qui m’éloignait de l’étroitesse et l’inconfort du HLM. Cependant, dès qu’arrivait son mari, l’atmosphère se faisait tout de suite pesante, il ne fallait pas avoir un mot de trop, ni parler fort. Tant que nous restions discrets, il acceptait nos visites. Il avait, chaque été, mis ses beaux-enfants au travail, dans des fermes, loin de la maison, puis les filles, chez les sœurs, le reste de l’année. Mais j’aimais aller chez mémé, malgré les toilettes au fond du jardin. On donnait à manger aux lapins, on courait sur le terrain où avait autrefois poussé la vigne. Une fois, j’avais vu presser le raisin aux pieds dans la grande cuve. J’aimais écouter les sœurs de mémé Louise quand elles venaient prendre l’air à la campagne, qu’elles racontaient des anecdotes, que grande-tatan Odette sortait des bonbons de son sac.

En souvenir d’un passé bien plus lointain, il ne me reste que ces deux images comme témoins.

Pour l’ascendance paternelle, on découvre le portrait d’un groupe, lors d’une noce, au cours des années 1920. La famille est là, le grand-père, la grand-mère, et trois des fils, il manque l’aîné, Jean, Joseph et Pierre. Parmi cette assemblée qui affiche le sérieux sur les visages, eux se situent sur le flanc droit, la grand-mère portant son plus jeune garçon est assise devant sur une chaise. Ils ont fait le voyage depuis La France, le dernier sans doute pour assister au mariage ou juste revoir leurs familles. Ils sont là mais peut-être en partie absents déjà, car ils regagneront leur nouvelle patrie très vite.

Concernant la famille maternelle, le cliché représente des femmes, trois générations de femmes qui se sont mises sur leur trente-et-un pour venir poser chez le photographe. Au centre, debout entre deux d’entre elles assises, se tient une petite fille, bien habillée, robe à collerette blanche, qui ne doit pas avoir plus de cinq ans, c’est Louise. Une de ses mains repose sur la robe de sa mère, l’autre sur celle de sa grand-mère, une maîtresse femme, on le sent à son regard sévère. Derrière, debout, se tiennent trois jeunes personnes, bien droites, ses tantes sans doute. Personne ne sourit, ou seulement l’une des sœurs, à peine, il faut tenir la pose. La grand-mère de Louise et sa mère arborent un air fier, elles semblent fortes.

Deux captures d’un temps révolu, en des lieux aux langues si différentes, transportées sur de vieux rafiots par des personnes qui serraient près d’eux ces derniers liens leur rappelant leurs lignées familiales et leurs terres natales, deux représentations réunies dans l’album de l’avenir, avec, pensé en filigrane, l’espoir de vies meilleures pour les descendants.

Justine Karamidès - 26/11/2020

 

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Le tabouret
 

Il s’agit d’un tabouret.

Un simple tabouret de bois, peint en blanc, d’une hauteur de soixante centimètres. Il fut réalisé peu avant la guerre de mille neuf cent trente neuf par un menuisier pour répondre à un usage précis : permettre le confort d’une station assise derrière un comptoir, accéder à une caisse, pouvoir se lever rapidement pour servir la clientèle. Le large comptoir en bois mettait à disposition des clients des magasines bien oubliés aujourd’hui : Nous deux, Rustica, La petit écho de la mode, confidences, atout coeur et bien d’autres dont j’ai oublié le nom.

Il y avait aussi sur ce comptoir un tourniquet présentoir de cartes postales. Certaines étaient colorisées et destinées à promouvoir une tendre et romantique affection : « A toi pour toujours », « Pensées secrètes ». La Saint Valentin, Pâques, le premier mai, Noël, la nouvelle année se fêtaient au moyen de ces cartes. Ce mode de correspondance était utile car le téléphone était peu répandu. Elles étaient l’avant garde de nos SMS actuels.

Depuis le tabouret, l’accès à la caisse était facile. Cette caisse était en bois avec des compartiments qui permettaient de trier billets et pièces. Il s’agissait de francs, mais on parlait encore de sous. Une pièce de cinq francs correspondait à cent sous. Calculer mentalement était indispensable, aucun appui à attendre d’une calculette.

Je revois assis sur ce tabouret un homme dans la quarantaine, fume cigarette doré à la main. Les épaules sont un peu voûtées, les cheveux grisonnants mais brillantinés, une chemise ouverte sur un pull. De profil il ressemble à l’acteur Humphrey Bogart. II le sait, on lui a dit maintes fois, cela le fait rire mais ne lui déplait pas.

Son métier c’est de vendre, vendre la presse, mais aussi vendre de la papeterie, des livres, des cahiers, des crayons, des gommes, des plumes, la Sergent Major étant la plus demandée. Ce commerce, situé dans la banlieue d’une grande ville, satisfait aux demandes locales. Amazon n’étant pas encore inventé, personne n’aurait l’idée d’aller quérir ailleurs ce qui se trouvait à portée sur place.

L’homme assis sur ce tabouret de bois blanc c’est mon père. Je l’observe, tantôt actif, tantôt rêveur. Je sais que cette place n’a pas été facile à conquérir : cette petite librairie est une victoire sur des années d’adversité. Lorsque je l’observe dans les moments calmes, je sais qu’il voyage dans ses souvenirs et moi je le regarde pour garder une trace de mon histoire. Ce tabouret, sans aucune valeur marchande a traversé les ans, les déménagements, les deuils et les partages et je l’ai sauvegardé pour qu’il demeure auprès de moi. Je l’utilise pour m’exercer au piano.

Il convient très bien.

Anne-Marie Souquet - 24/11/2020

 

La glycine étale majestueusement ses grappes mauves sur le toit de l'appentis. Le soleil filtrant à travers ses feuilles éclaire doucement le domaine d'un précieux personnage : le cochon Arthur. En ces temps de guerre, il sera bientôt d'une grande aide dans la survie de la famille. Des semelles de bois s'approchent. Arthur s'agite. Il sait que Céline vient le nourrir. Fatiguée, amaigrie, elle se débarrasse de son gilet pour être plus à l'aise et le pose sur une branche de glycine . On ne le retrouvera jamais, Arthur en a fait son dessert.
1947 Céline meurt. La maison vide accueille des locataires. L'appentis est démoli, la glycine privée de son support s'écroule et on la coupe.
1970 La fille de Céline, Odette vient habiter la demeure de son enfance avec sa famille. Un jour, au jardin, elle trouve une tige qui sort du sol. "Mais c'est la glycine de Maman " . Elle en prend soin, Roger son mari construit une armature. Et voilà la jolie qui reprend vie, ampleur et couleur. Elle devient l'ombrage d'une modeste terrasse en béton et abrite les goûters des dimanches en famille, les rêveries de Pascale la fille adolescente d'Odette, les dinettes improbables de feuilles et de pétales des petites-filles.
1986 Roger décède et Odette trouve du réconfort sous la fidèle glycine. Elle y passe tout son temps dès que la météo le permet. Elle casse d'un geste sûr les lianes trop envahissantes et malgré son âge, grimpe l'escabeau pour la tailler. Ses enfants rivalisent désormais de vitesse chaque automne pour la devancer mais la course est difficile ! Le grand âge remporte finalement la victoire. Mais c'est toujours sous ces opulentes grappes qu'on se retrouve quand on vient voir Mémère, baignés dans la tendre lumière du feuillage.
1996 Odette meurt. Pour Pascale un choix s'impose : reprendre la maison malgré les trajets à parcourir pour aller au travail ou la vendre. Un argument l'emporte : il lui est impossible d'imaginer des étrangers assis sous la glycine.


Pascale Canteneur - 27/11/2020
 

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Le couvre- lit
 

La cité universitaire

C’est la rentrée universitaire, la toute 1ère pour les jeunes bacheliers du mois de juin dernier. Philippe a 18 ans, son bac en poche et ses rêves en tête, il découvre sa nouvelle chambre. Il a laissé la précédente dans la maison familiale, là- bas, loin, sur les monts ardéchois. Plus de vertes collines alentours, plus de châtaigniers ou de vigne mais des voitures, des voitures et des voitures encore : dans les rues adjacentes à la cité universitaire, sur les parkings de la faculté de biologie ou bien devant le grand centre commercial tout proche.

Tout juste 9m2, un petit lit d’une place à gauche de la porte, une mini- table juste à côté (table d’appoint ou table de chevet ?) et un bureau à droite avec 2 étagères au- dessus. Chaque chambre dispose d’un grand placard/ penderie situé en face d’un petit lavabo. Douche et toilettes communes sont tout au bout du couloir.

« Au moins tes fenêtres sont grandes et font bien passer la lumière ! » dit sa mère

« C’est prévu pour… » ajoute son père. « Regarde, ils ont mis le bureau juste devant, comme ça les étudiants peuvent réviser à la lumière du jour plus longtemps ; ils doivent économiser sur l’électricité !! »

Ça y est se dit Philippe, il va repartir sur son refrain préféré des dernières semaines : « Faites des études qu’ils nous disent ces politiques, c’est la seule façon d’éviter le chômage ! L’université pour tous ! Il y a des bourses ! Ah oui, parlons- en des bourses, elles couvrent à peine les frais de rentrée… » Et patati et patata…

Il regarde le lit : qu’il est petit comparé à son grand lit de 2 places ! Petit et moche avec ce couvre-lit à grands carreaux marron, fait dans un tissu épais et rugueux. C’est du solide, pas fait pour la déco mais résistant à la vie étudiante ! Et heureusement qu’il est résistant ce couvre- lit…

Philippe en a fait un accessoire multi- usages : tantôt bac à linge sale quand il faut emmener ses affaires à la laverie de la cité juste en bas, tantôt rideau pare- soleil quand il veut dormir un peu plus longtemps le dimanche matin et que les volets mal ajourés laissent passer trop de lumière. Couvre- lit/ nappe aussi quand les copains de la cité organisent une soirée spaghettis à la cuisine commune de l’étage. C’est qu’il en faut des mini-tables accolées les unes aux autres pour tous ces estomacs voraces ! Et puis surtout, couvre- lit /cocon quand Nathalie s’éveille au creux de ses bras, dans le petit matin refroidi par les gelées hivernales et un chauffage encore en panne ! Alors avec ses caresses tout douces, toutes tendres, Philippe lui fait oublier la rugosité de son couvre- lit.

L’appartement

« Attention ! C’est lourd, vous allez vous faire mal ! » crie Stéphanie.

Ah oui, c’est lourd une machine à laver. Sans compter qu’elle n’est pas neuve et que les tuyaux ont encore un peu d’eau…Heureusement le bon vieux couvre- lit marron et moche (souvenir des années de fac) placé au- dessous de l’appareil électroménager dans la petite camionnette en a épongé une grande partie…En plus solide comme il est, il permet de faire glisser l’encombrant lave- linge jusqu’au bras jeunes et musclés de Philippe et Hervé.

« Stéphanie ! Ouvre la porte ! On monte ! » lance Hervé à sa sœur.

Il est venu prêter main forte à son pote de fac Philippe. Devenu petit copain de vacances de sa sœur, il sera bientôt son tout jeune beau- frère… enfin quand ce satané déménagement sera fini et que tous pourront faire la fête au mariage prévu dans un mois.

L’appartement est au 5ème étage d’un immeuble qui en compte 6. Il baigne de lumière grâce aux baies vitrées du séjour. C’est moderne et c’est haut. Il y a bien un ascenseur, mais il est tout petit et une fois glissé le lave- linge à l’intérieur, à l’aide du couvre- lit, il n’y a plus de place. Alors Philippe s’assoie dessus la machine à laver pour monter au 5ème tandis qu’Hervé grimpe en toute vitesse les escaliers. A bout de souffle, il arrive juste à temps pour ouvrir la porte de l’ascenseur poussif, ex-aequo avec le trio Philippe- machine à laver- couvre- lit. Il ne reste plus qu’à faire glisser l’encombrant objet dans l’appartement.

Encombrant mais combien indispensable ! Sans lave- linge, impossible de nettoyer le couvre- lit / nappe de pique- nique dominical sur l’herbe. Sans lui, comment enlever les tâches d’huile de monoï tombées sur cette natte de plage disgracieuse mais pratique ? Idem pour la purée de légumes renversée ce week-end par Sébastien, agrippé à son relax et debout pied- nus sur ce couvre- lit improvisé en tapis, sous le châtaignier des parents de Philippe…là où ils ont fêté le 1er anniversaire de ce charmant bébé.

Le garage

Dans la pénombre, on distingue un bric-à-brac d’objets tout au fond du garage devant abriter la voiture…qui reste le plus souvent dehors, sauf si la neige est annoncée… Mais en ce beau dimanche d’été, la neige est bien loin…

Un bric-à-brac donc, avec des cartons, des outils, une tondeuse, une table de camping, une vieille machine à laver et un relax de bébé…Il y a aussi 2 vélos, l’un au- dessus de l’autre et qui sont adossés à un petit meuble de cuisine en formica blanc. Ses portes ferment mal tant l’intérieur déborde de vieux pots vides, de boîtes plastiques ou de casseroles usagées et remplacées par de nouvelles mais conservées là, sait-on jamais…

Au-dessus du placard, recouvert d’un vieux couvre- lit à grands carreaux marron, on devine une forme allongée mais évasée au sommet. L’objet est bien emmaillotté par le couvre- lit fait d’un tissu solide et rugueux. Cela doit être quelque chose de fragile ou bien qui craint la poussière…ou les 2.

« Je pense qu’elle est là ! Mamie Stéphanie ne veut rien jeter…Aussi quand elle est venue vivre avec nous, j’ai mis les affaires qui n’allaient pas dans sa chambre, ici. » dit Sébastien à son fils Antoine en ouvrant la porte du garage. Sous les rayons de soleil, les objets prennent vie. Ainsi, au travers du couvre- lit hideux et tâché, on devine les formes d’un lampadaire de salon, le fil électrique qui dépasse de sa base aide bien, aussi.

« C’est ça ? » interroge Antoine. Plus vif que son père, il a le premier, repéré l’objet recherché. Maintenant il dénoue les ficelles qui maintenaient le vieux couvre- lit enveloppant le lampadaire.

« C’est une lampe halogène » lui précise son père. « C’est bien car elle t’éclairera comme il faut et tu pourras mieux réviser, bien éclairé ! »

« Elle est grande, tu crois qu’elle va rentrer dans ma petite voiture ? Tu sais, Papa, j’ai plein d’autres choses à ramener jusqu’à la fac ! » s’inquiète Antoine.

« C’est pour cela qu’on va garder le vieux couvre- lit autour. On vérifie qu’elle fonctionne encore, on la remet dedans et après elle ira dans ta voiture, en long côté passager. Tu vois ce couvre- lit ? Il est moche mais solide : il date des années de fac de ton grand- père Philippe et il est toujours là…lui ».

Sa voix s’éteint un peu. 2 ans après la mort de son père, des suites d’une longue maladie comme on dit, il lui manque toujours. Antoine le sait bien, lui aussi pense souvent à Papy Philippe. Qu’il aurait été fier de savoir que son petit-fils allait dans la même université que lui et pour suivre les mêmes études en biologie ! Mais les temps ont changé : Antoine ne résidera pas en cité universitaire, il sera en « coloc’ » avec Kevin et sa sœur Elsa, les jumeaux, ses copains d’enfance. Il est impatient de découvrir sa nouvelle vie, dans cette grande ville pas si loin de ses montagnes ardéchoises, qu’il aime tant.

« Non, je pense que la lampe ira mieux dans ce grand carton, là derrière les vélos. Par contre, je garde le couvre- lit, car il servira d’abord pour envelopper le carton de vaisselle pendant le trajet et après, je le mettrai dans l’entrée : tu sais, le petit cagibi avec sa porte qui bloque le couloir quand on l’ouvre ? Eh bien je l’enlèverai et le couvre- lit fera un bon rideau, comme ça l’accès au cagibi sera plus facile. »
 

Corinne Khaddan - 31/12/2020
 


Cette petite loupe noire qui réapparait régulièrement au milieu d’un fouillis de souvenirs de rien − une poignée de petits outils d’horloger, pinces, tournevis, brucelles −, me ramène chaque fois quelques soixante ans en arrière dans le minuscule atelier-boutique de mon papa. C’était le jeudi quand, pour m’occuper autant que pour lui rendre service, il m’envoyait « aux fournitures » dans le Marais muni d’une petite liste (verres, tiges de remontoirs, pompes, spirals, couronnes, vis, joints toriques, etc.) et de deux ou trois adresses autour de la rue du Temple : rues Pastourelle, Portefoin, des Gravilliers… Plus rarement, je devais aller par une autre ligne de métro « chez la polisseuse » à Cadet, dans le quartier des diamantaires. Je me revois passer un portail tarabiscoté et surmonté de quatre lettres mystérieuses G.O.D.F. juste avant un marchand de vin « Compagnie beaujolaise » puis monter les marches fatiguées d’un vieil immeuble jusqu’à cet atelier aux odeurs fortes. Puis je revenais jusqu’à « L’abeille d’or » où mon père travaillait, penché sur son établi, ses doigts enserrant un mouvement de montre ou un bijou, la loupe vissée dans son œil droit à quelques centimètres de l’objet de toute son attention. Je lui faisais mon rapport : avais-je bien trouvé tout ce qu’il y avait sur la liste ? J’avais bien mérité un chausson aux pommes que j’allais acheter place des Abbesses. Au retour, il y avait parfois une cliente. Je restais dans un coin de la boutique. Aux murs, quantité de pendules indiquant toutes des heures différentes. Parfois je tendais l’oreille à la conversation, savourant à l’avance la scène maintes fois répétée : sans lever le nez, mon père sondait la cliente mine de rien, oui-oui, tout à fait, une montre-bracelet de dame, qui avançait ? Ronde, n’est-ce pas, ah non, carrée, bien sûr, oui, eh bien je crois qu’elle est prête, il n’y a sans doute plus qu’à la mettre à l’heure. Et là, il laissait son travail en cours pour fureter dans sa petite armoire vitrée suspendue derrière lui, retournant les étiquettes à la recherche du nom de la cliente. Puis il ouvrait prestement le couvercle tout en entretenant la conversation et diagnostiquait le problème. La réparation suivait sans tarder et il se redressait dans sa blouse blanche, la montre à la main, tout sourire. Sa loupe au repos pour quelques minutes.

Cette petite loupe noire, je la range de nouveau précieusement dans sa boîte à souvenirs. Inusables.
 

Richard Roy - 04/01/2021

 

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Bleu
 

Le chemin du retour de l’école était ponctué de haltes.

De petits espaces libres de rencontres, nécessaires et indispensables à mes yeux.

Je les affectionnais particulièrement comme la récompense méritée après une journée de contraintes. L’essentiel se tenait ainsi, pour moi, en ces quelques moments.

Là se trouvait la vie, ma vie.

La première étape était chez Marthe, ma grand-mère.

Une petite femme vive, aux cheveux blancs bouclés et aux yeux ronds et bleus glacier.

Malgré ce rituel quotidien de passage, Marthe ne cachait pas sa surprise de me voir.

Elle m’accueillait avec un large sourire en s’exclamant : « Ça alors, c’est ma Nina qui est là ! »

Comme chaque jour, nous allions nous installer au petit salon qui jouxtait la cuisine. Une toute petite pièce avec une table ronde en son centre, un imposant buffet et une horloge dispensant son tic-tac régulier.

Nous nous installions à la table toutes les deux et, invariablement, Marthe me proposait un sirop qu’elle me servait dans un grand verre à moutarde.

Ce moment était délicieux, nous étions pleinement présentes l’une à l’autre.

Mais un autre plaisir se tenait là, plus discret, en un service à thé, niché derrière une discrète vitrine. Une petite théière rondelette entourée de ses tasses, toutes délicatement décorées de fines fleurs bleues.

Le bleu, la couleur préférée de Marthe !

Tout, chez elle, n’était que variation infinie autour de cette nuance,

Ses yeux, ses habits, les objets de la maison qu’elle avait accumulé au fil des années.

Le service à thé n’y dérogeait pas.

Il semblait poser là fièrement, à bonne hauteur, empêchant quiconque de s’en emparer sauf au prix d’un savant effort d’étirement.

Je ne saurai dire pourquoi ce service me faisait tant d’effet mais je ne cessais de le regarder avec envie, cherchant à inscrire à tout jamais dans ma mémoire ses moindres détails.

Il m’arrivait de demander à Marthe de le regarder de plus près. Elle le sortait alors délicatement de son écrin et je pouvais ainsi l’admirer.

Parfois, j’osais même le toucher. Je sentais son attention s’accroitre, soulignant ainsi la valeur inestimable qu’elle portait à cet objet.

Puis le temps à fait son œuvre, m’emmenant inexorablement vers d’autres haltes en d’autres lieux.

Les temps avec Marthe et le précieux service à thé se sont peu à peu éloignés.

Ma grand-mère s’en est allée discrètement, il y a quelques années, une nuit d’été.

Le service à thé avec elle…

Je n’ai retrouvé, que quelques années plus tard, une tasse ébréchée au milieu d’autres objets récupérés à la hâte par ma maman. Mais point de service à thé dont il ne me reste aujourd’hui que le souvenir.

Ce que je ne percevais pas jusque-là, c’est que je porte depuis toujours sur moi la mémoire vivante de ma grand-mère. Tout comme elle, le bleu est présent dans ma vie par mes yeux et mon goût pour cette couleur.

C’est lorsque l’on porte son regard que ce qui semble perdu refait surface.
 

Nina - 13/01/2021

 

 

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